Presque toutes les transactions métier sont fondées sur des contrats et des accords juridiquement contraignants. Ces contrats contiennent des clauses, des modalités, des conditions, des engagements et des objectifs qui doivent être suivis et gérés tout au long du cycle de vie du contrat pour maximiser les avantages commerciaux et minimiser les coûts et les risques associés. Horisis Conseil mobilise des consultants en Contract Manager sur des problématiques de grands projets complexes.
Marie Crouzet, Contract Manager depuis 4 ans, chez Horisis, sur des grands projets d’infrastructures dans le domaine de l’énergie, nous en dit en peu plus, sur le positionnement et les activités quotidiennes, d’une fonction pas toujours bien connue.
En quoi consiste ton travail de Contract Manager dans ce contexte de grands projets industriels ?
Le rôle du CM s’articule autour de 2 grands types d’activités ; le périmètre achats et le périmètre contractuel. Le domaine achat « pur » consiste en l’organisation et la coordination des achats nécessaire au projet (des équipements, aux prestations d’organismes notifiés, en passant par la location de bungalows de chantier, par exemple) ; généralement, ces activités sont gérées en amont de la commande par la maitrise d’œuvre. En effet, dans le cadre de grands projets industriels, le Maitre d’Ouvrage soustraite la partie dite de réalisation du projet (études, achats, construction, démarrage) à une société d’ingénierie, ou à un groupement d’entreprises. C’est ici qu’apparait la 2nde composante du métier de CM, consistant à piloter ce fournisseur principal. Les contrats régissant les relations entre MOA et MOE sont souvent très volumineux, contenant de nombreuses clauses et annexes, délimitant le périmètre d’intervention, les obligations, et les attendus de la prestation du Maitre d’œuvre. Le Contract Manager est alors chargé de donner vie au contrat, en veillant au respect par le contractant des composantes de ce lien contractuel. Il en va de même pour les contrats des fournisseurs de matériel et équipements, de travaux ou autres intervenant sur le projet.
Existe-t-il une ou des journées types pour un Contract Manager sur ce type de projet ?
Le périmètre d’activité du CM étant relativement large, et souvent à géométrie variable (dépendamment de l’implication dans le projet du CM), il faudrait plutôt parler de semaine type. En miroir des activités détaillées ci-avant, ma semaine s’articule généralement en 2 parties : gestion achats et gestion projet/contrat. Dans la première partie de ma semaine, se concentrent souvent les réunions projet (réunion d’équipe projet restreinte, comité de pilotage avec le contractant…) où nous faisons le point sur les actions en cours, les actions à mener envers le contractant ou tel fournisseur ne respectant pas ses engagements contractuels, le suivi de la production de documents contractuellement dus, etc. Nous faisons également des points hebdomadaires sur les demandes de modifications formulées par le contractant et les fournisseurs (prestations supplémentaires) qu’il nous faut analyser et contre argumenter pour pouvoir les négocier.
Une fois que chacun des intervenants du projet a sa « to-do list » donnée en début de semaine, la deuxième partie de celle-ci consiste en la production de courriers, réponses aux demandes de modifications, et tout ce qui aura pu être acté dans les réunions projet : c’est plus une phase d’action. En sus, c’est là que je me concentre sur la partie achats pure, en faisant un point avec les 2 acheteurs du projet, sur les dossiers d’achat en cours, les commandes à passer, l’état de la facturation fournisseurs, etc.
Comment est organisée l’équipe projet, et qu’elle est la place qui t’y est réservée ?
Le projet sur lequel je suis actuellement affectée est organisé de la sorte. Du côté client interne, un directeur de projet, un chef de projet et un coordonateur technique ; le contract manager vient se greffer à ces 3 intervenants dans les réunions de projet ; je suis le point d’entrée pour toute demande émanant du client interne relative aux contrats et aux achats. Pour m’épauler dans ma tache, je suis accompagnée par 1 acheteur, dont le rôle est très opérationnel, et un appui contract manager avec lequel je travaille sur les analyses de demandes supplémentaires, courriers, problématiques contractuelles, analyses et reporting de dépenses, etc.
La discipline de contract management étant relativement récente, le rôle du CM n’est pas figé de manière uniforme sur tous les projets ; son rôle dépend largement de sa volonté de s’impliquer ou non dans le projet. La direction projet est très demandeuse d’assise contractuelle dans les demandes qu’elle peut formuler à son contractant, et le CM doit être présent pour lui donner ces pistes et le soutenir et l’accompagner dans ses demandes. Ainsi, en prenant part de manière accrue au projet, le CM doit être force de proposition et doit jouer un rôle de facilitateur pour la direction projet ; cela lui permet de prendre part aux décisions projet et aux orientations de celui-ci. A contrario, si le CM ne souhaite pas s’investir dans le projet, celui-ci peut tout à fait se cantonner aux activités opérationnelles d’achat, en minimisant les actions «contractuelles » dans le projet.
Lors du traitement de réclamations importantes ou d’écarts au contrat, les échanges peuvent se durcir entre Maitre d’Ouvrage et Maitrise d’œuvre. Y a-t-il une posture particulière du CM lors ces échanges ?
La relation est effectivement souvent tendue entre le MOE et la MOA et chaque partie se fait fort de déployer ses talents d’acteurs. Dans le traitement de ce genre d’incident contractuel, le CM est souvent à l’initiative de proposition, envers son client interne. Cette position est ensuite endossée par toute l’équipe projet qui doit tenir le cap. Dépendamment de la stratégie déterminé avant les négociations, avec la direction de projet, nous nous laissons une petite marge de manœuvre, un pas que nous pourrons faire envers le contractant, en cas de blocage total de la situation ; même si c’est au CM d’élaborer cette solution « degradée » face à un durcissement contractuel, c’est plutôt au directeur ou au chef de projet de l’afficher. A ma place de CM, j’aurai plutôt tendance à me montrer assez rigide et exigeante du respect des engagements du MOE dans un premier temps, puis à « lâcher du lest » dans un deuxième temps, afin d’œuvrer au bon terme de la négociation. La décision finale revenant toujours au directeur de projet, le CM se doit de suivre et d’accompagner son client interne dans ses décisions.
Votre responsabilité dans la prise de décision est grande. Est-ce une pression supplémentaire au regard de l’importance des enjeux financiers et économiques ?
Les sommes en jeu dans ce type de projet sont effectivement colossales, et sont un enjeu capital pour le client interne, tant par le budget alloué à la réalisation du projet, que par les retombées financières attendues de ce type d’investissement. Les arbitrages sont aussi souvent difficiles à réaliser entre « ne pas accorder plus au contractant et prendre un risque sur la mise en service de l’installation » et « dépenser plus aujourd’hui pour sécuriser la mise en service de demain ».
Le fait que d’importants enjeux financiers soient engagés, implique également de mener des analyses de coûts de manière périodique, afin d’une part de mettre en valeur le travail de contract management (contre argumentation, négociations,…) mais aussi de travailler sur les causes de ces surcoûts, afin de les mitiger dans la suite du projet, d’autre part.
La part de suivi administratif et de traçabilité est importante. Quelle la part que cela représente dans l’ensemble de ton activité ?
Le suivi de la production des documents contractuels, que ce soit rapport d’avancement ou procès verbaux de réception entre autres, représente effectivement une part importante de la charge. C’est la raison pour laquelle dès le début du projet – ou dès le début de l’intervention du CM sur un projet- il est important de mettre l’organisation et les outils en place pour un suivi facilité, voire quasi automatisé des échanges et productions du contractant et des fournisseurs.
Quelles sont pour toi, les principales qualités que doit posséder un bon contract manager.
Un bon contract manager doit, à mon sens, avoir une bonne mémoire et de bonnes capacités d’analyse, afin de pouvoir synthétiser de nombreuses informations de typologies différentes, pour être en mesure de formuler des recommandations justes et pertinentes. La rigueur, l’organisation et de bonnes capacités rédactionnelles sont tout aussi importantes. Un certain sens de la négociation et un peu de diplomatie sont également de très bons atouts.
Tu évolues, sur ces grands projets, dans un univers essentiellement masculin. Est-ce plus difficile d’être une femme dans ce contexte ? Observes-tu des différences marquées de comportement ?
Il est vrai que ce milieu est essentiellement masculin ; au premier abord , être une femme peut apparaître comme une faiblesse, mais au fil du temps, je perçois plus cela comme une force. Le milieu est assez macho, il est vrai, et à plusieurs reprises, j’ai eu droit à des réflexions et remarques peu intelligentes et peu flatteuses pour la gent masculine… Il faut savoir passer au-delà et tirer sa force de la surprise que peut créer une présence féminine dans certaines réunions ; dans la mesure ou ces messieurs ont souvent un a priori d’incompétence envers une femme, lorsque celle-ci se révèle pleine de bons sens, d’à-propos et d’efficacité, les intervenants les plus sexistes se trouvent surpris, mais finissent par accorder du crédit. Face à ce (triste) postulat de départ d’incompétence pour une femme, je crois qu’il faut être plus compétente et meilleure que la moyenne des hommes dans le même type de fonction, car il faut savoir gagner et légitimer sa place au sein d’un projet.
Ayant remplacé des hommes à chacune de mes prises de fonction, réflexion m’a souvent été faite que les intervenants « s’assagissaient » suite à mon arrivée, et que le langage utilisé lors de réunions était plus policé. Ce n’est bien évidemment pas toujours le cas ! Lors de réunions très tendues (type négociations), certains atouts typiquement féminins peuvent faire illusion un temps, mais, au final et dans le feu des débats, cela ne fait pas grande différence d’être un homme ou une femme.
Quels conseils donnerais-tu à un jeune CM qui démarre dans la fonction ?
Afin d’être rapidement performant sur son sujet, je recommanderais en premier lieu une lecture complète du contrat principal à gérer, et de ses annexes, en repérant les éléments clés du contrat (quelles pénalités ? quelle périodicité de production de livrables ?le déroulé des opérations de démarrage et leurs implications contractuelles et en terme de propriété par exemple, etc.) La bonne connaissance de la structure contractuelle et des leviers est primordial au départ. Aussi, pouvoir retracer l’historique des évènements est essentiel. Enfin, la mise en œuvre des bons outils et les bonnes méthodes dès le départ, ne peut augurer que d’une performance future.